Jean-Claude Rosenwald
Ingénieur ENSEM 1967, président SPHEF (aujourd'hui SFPM) 1979-1982
Ma première rencontre avec Andrée Dutreix remonte à 1967. J’avais 22 ans et je cherchais un emploi après avoir obtenu mon diplôme d'ingénieur de l'Ecole d'Electricité et de Mécanique de Nancy. Le directeur de l'école, Robert Guiliien, qui s'intéressait au biomédical, m'avait donné quatre "contacts" en milieu médical, dans des domaines très divers. Maurice Tubiana, à l'Institut Gustave Roussy (IGR), était l'un d'eux. Lorsque je me suis présenté à lui, il m'a immédiatement conduit dans le bureau d'Andrée Dutreix qui m'a indiqué qu'ils cherchaient des informaticiens pour développer des programmes de calcul des doses dans le cadre d'un contrat financé par la Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique (intégrée aujourd'hui à l'Agence Nationale de la Recherche).
Elle m'a fait rapidement confiance et dès 1968 j'avais été envoyé en mission à Chicago pour participer au deuxième congrès international sur l'utilisation des ordinateurs en radiothérapie. En 1970, je signais (seul) mon premier article scientifique qui portait sur la reconstruction géométrique des sources de curiethérapie. En 1971, alors que mon contrat se terminait, Andrée Dutreix m'a proposé de prendre le troisième poste de "radiophysicien" qui venait d'être créé à l'IGR (le deuxième était occupé depuis 1962 par Jean Chavaudra).
Toutes ces années ont été passionnantes. Il y avait, dans les vieux bâtiments de l'IGR jouxtant l'hôpital Paul Brousse, au rez-de-chaussée, une "grande salle" de dosimétrie où se trouvait le personnel de l'"unité de radiophysique" chargé en particulier de dessiner à la main les courbes isodoses des patients traités. Les multiplications se faisaient avec une "règle à calcul" de plusieurs dizaines de centimètres de long. C'est là que j'étais installé aux côtés de Mireille Richard, de Jean N'guyen, de Henry et Catherine Bouhnik. Il y avait aussi Dominique Bernard, recruté lui aussi comme informaticien pour développer les programme de calcul de dose en radiothérapie externe.
Il y avait également de très nombreux "visiteurs", français ou étrangers, jeunes futurs physiciens de passage, venant se former pendant quelques jours, ou préparant des thèses, notamment pour caractériser les faisceaux des nouveaux appareils : le Sagittaire, avec Ginette Marinello pour les photons (25 MV), et Edith Briot pour les électrons (7 à 32 MeV). Il y avait aussi le Neptune (6 MV) avec Hélène Aget.
Nous nous retrouvions pour le café au sous-sol où une sorte de "comptoir de bistro" avait été installé. Progressivement, les dessins manuels des isodoses cédaient la place aux solutions informatiques, listings d'imprimantes dans un premier temps, puis traceurs de courbes. Les lignes de code (Fortran) étaient écrites à la main puis transformées en cartes perforées qui alimentaient les ordinateurs. Un personnel spécialisé s'en chargeait, mais nous avions une petite perforatrice manuelle pour "rattraper" les trous manquants et le grand jeu consistait à libérer le chariot et appuyer très vite sur une touche ; celle ou celui qui perçait un trou au plus près du bord (repéré par les numéros de colonne) avait gagné.
À une extrémité de la salle se trouvait le bureau de "Monsieur Chavaudra", excellent pédagogue, toujours très digne, qui suivait s'en trop s'en mêler les frasques de ce beau monde. À l'autre bout, se trouvait "Madame Dutreix", qui avait su s'imposer auprès des médecins et gérait toute son équipe avec une bienveillante autorité, laissant généralement la porte de son bureau ouverte pour montrer sa disponibilité.
Courant 1975, le directeur de la Fondation Curie, Robert Calle, avait fait appel à l'IGR pour trouver un radiophysicien susceptible de les épauler pour la dosimétrie des nouveaux appareils installés et à venir. Malgré les réticences de Maurice Tubiana, Andrée Dutreix m'a conseillé de prendre ce poste, m'expliquant que j'aurais plus de perspectives d'évolution de carrière que si je restais à l'IGR. J'ai été convaincu et bien que devant quitter l'Institut sous peu, j'ai bénéficié de la possibilité de partir aux Etats Unis pendant 7 mois à Milwaukee, dans le service de Jim Cox, pour les aider, au titre de l'IGR, au développement de solutions informatiques. Cette expérience a été irremplaçable.
En janvier 1976, de retour des Etats-Unis, je quittais donc l'IGR pour la Fondation Curie, après avoir bénéficié de l'apport considérable d'Andrée Dutreix, aussi bien sur le plan scientifique que sur le plan humain. Je n'oublie pas tout ce que je lui dois...